7

Ce fut la soif qui me réveilla.

Je sus aussitôt où j’étais et aussi ce que j’étais.

Plus de doux rêves de vin blanc bien frais, ni d’herbe verte sous les pommiers du verger de mon père.

Dans les ténèbres confinées de la sépulture de pierre, je tâtai mes crocs du bout du doigt et les trouvai dangereusement longs et acérés comme de petites lames.

Un mortel avait pénétré dans la tour et, bien qu’il n’eût même pas encore ouvert la porte de la pièce extérieure, j’entendais ses pensées.

Je perçus sa consternation en constatant que la porte n’était pas fermée à clef, comme à l’accoutumée. Sa peur en découvrant les bûches calcinées sur le sol. Il appela : « Maître. » C’était un serviteur.

J’étais fasciné de me sentir ainsi à l’écoute de son âme, mais autre chose me troublait encore plus. Son odeur !

Je soulevai le couvercle de pierre et sortis du sarcophage. L’odeur était faible, mais presque irrésistible. C’était le parfum musqué de la première fille de joie avec qui j’avais couché. C’était le gibier rôti en hiver, après des jours et des jours d’abstinence. C’était le vin nouveau, les pommes fraîchement cueillies, l’eau limpide d’un torrent par un jour de grosse chaleur.

Non, c’était encore bien plus capiteux que tout cela et l’envie que j’en avais était à la fois plus vive et plus simple.

Je franchis le tunnel comme une créature nageant dans l’obscurité et poussai la pierre qui ouvrait sur la chambre extérieure.

Le mortel était là, qui me regardait fixement, pâle de terreur.

C’était un vieil homme racorni et je lus, Dieu sait comment, dans son esprit, qu’il était le cocher de céans.

Et puis, aussitôt, sa malveillance à mon égard me frappa comme la chaleur d’un fourneau. Il n’y avait pas à s’y méprendre. Il me foudroyait du regard. Sa haine bouillonnait, débordait. C’était lui qui avait été chercher les somptueux vêtements que je portais, lui qui avait pourvu aux besoins des malheureux du donjon avant leur mort. Pourquoi n’y étais-je pas, moi aussi ? se demandait-il, ulcéré.

Inutile de dire que j’eus envie de l’écraser comme un insecte.

« Le maître ! Où est le maître ? » demanda-t-il d’un ton pressant.

Qui croyait-il donc servir ? Quelque magicien, me répondit sa pensée, malgré lui. A présent c’était moi qui avais le pouvoir et il ne pouvait rien m’apprendre d’utile.

Tout en réfléchissant ainsi, je fixai d’un œil concupiscent les veines de son visage et de ses mains. Son odeur m’enivrait.

Je sentais battre son cœur, je devinais par avance la saveur de son sang, je m’en croyais déjà gavé.

« Ton maître a disparu, brûlé dans le feu », murmurai-je d’une voix étrangement monocorde en m’avançant vers lui.

Il contempla le sol et le plafond noircis. « Non, c’est un mensonge ! » dit-il. Il était furieux et sa colère me vrillait l’œil comme une lampe. Je sentais sa méfiance, ses tentatives désespérées de comprendre.

Que cette chair vivante était belle ! Un appétit sans remords montait en moi.

Il le savait. Intuitivement, il l’avait deviné, et avec un dernier regard torve, il partit en courant vers l’escalier.

Je l’attrapai aussitôt. Ce fut enfantin. En un clin d’œil, il fut entre mes bras, aussi vulnérable qu’un petit garçon aux mains d’un homme adulte. Un fouillis de pensées se bousculaient dans sa tête, mais il ne put se résoudre à rien pour tenter de se sauver.

Brusquement ses yeux cessèrent d’être les portes de son âme. Ce n’étaient plus que deux globes gélatineux dont la couleur me faisait saliver. Son corps n’était plus qu’une bouchée bien chaude de chair et de sang qui se tortillait entre mes mains et que je devais consommer à tout prix.

J’approchai son cou de mes lèvres, déchirai l’artère qui faisait saillie. Le sang me jaillit jusqu’au palais. Je poussai un petit cri en écrasant l’homme contre moi. Ce n’était ni le fluide brûlant bu au cou de Magnus, ni le divin élixir lapé sur le sol du cachot, mais un liquide infiniment plus voluptueux, qui avait le goût de ce cœur d’homme qui le pompait sans relâche.

Il me fallut toute ma volonté pour le repousser loin de moi avant le moment suprême. Que j’avais donc envie de sentir son cœur cesser de battre ! De sentir ses pulsations se ralentir et s’arrêter et de savoir que je le possédais !

Mais je n’osai pas.

Il glissa lourdement entre mes bras, s’affala comme une poupée de chiffon sur le sol. Je voyais luire le blanc de ses yeux entre les paupières mal jointes.

Je me trouvai incapable de me détourner de son agonie ; sa mort me fascinait. Aucun détail ne devait m’échapper. J’entendis sa respiration s’interrompre, je vis le corps raidi se détendre dans le trépas sans lutter davantage.

Le sang m’avait réchauffé, je le sentais battre dans mes veines. Mon visage était chaud contre mes paumes et ma vision était incroyablement aiguisée. Je me sentais plein d’une force inimaginable.

 

Je saisis le cadavre et descendis, en le traînant derrière moi, l’escalier en colimaçon qui menait à la puanteur du donjon. Là, je le jetai avec les autres pour qu’il y pourrît.

8

Il était temps de sortir mettre ma puissance à l’épreuve.

Je remplis ma bourse et mes poches de tout l’argent qu’elles pouvaient aisément contenir et ceignis une épée dont la poignée était incrustée de joyaux. Puis je descendis et refermai derrière moi la grille de fer de la tour.

Cette dernière était manifestement l’unique vestige d’une demeure en ruine. Le vent m’apporta une odeur de chevaux – que je captai un peu comme doit le faire un animal – et je me dirigeai sans bruit vers une écurie improvisée derrière le bâtiment.

Elle contenait non seulement un superbe vieux carrosse, mais aussi quatre magnifiques juments noires qui, miraculeusement, ne semblaient pas avoir peur de moi. Je baisai leurs longs flancs lisses et leurs naseaux veloutés.

Il y avait aussi un humain dans l’écurie, dont j’avais humé l’odeur dès mon entrée. Il dormait à poings fermés et je vis, en le réveillant, qu’il s’agissait d’un jeune demeuré dont je n’avais rien à craindre.

« C’est moi ton maître, à présent, dis-je en lui donnant une pièce d’or, mais je n’ai pas besoin de toi ce soir. Contente-toi de me seller un cheval. »

Il me comprit suffisamment pour me répondre qu’il n’y avait pas de selle dans l’écurie et retomba assoupi.

Tant pis. Je coupai les rênes qui faisaient partie de l’attelage du carrosse, les passai autour du cou de la plus belle des juments et sautai sur son dos nu.

Je ne saurais décrire la volupté ressentie quand le cheval jaillit entre mes jambes, dans le vent glacé, sous la voûte céleste. Nos deux corps ne faisaient qu’un. Je volais sur la neige, en riant et en poussant par moments des clameurs de joie. Ce ne pouvait être que de la joie. Les monstres sont donc capables d’éprouver un tel sentiment ?

J’aurais voulu aller jusqu’à Paris, bien sûr, mais je ne me sentais pas encore prêt. Je ne connaissais pas assez bien mes nouvelles capacités. Je partis donc dans la direction opposée, jusqu’aux abords d’un petit village.

En approchant de la petite église, je n’aperçus aucun être humain. Je mis rapidement pied à terre et cherchai à ouvrir la porte de la sacristie. Elle céda à ma pression et je traversai la nef pour gagner le pied de l’autel.

Je ne sais ce que je ressentais à ce moment précis. Peut-être aurais-je voulu que quelque chose arrivât. J’avais des envies de meurtre. Mais la foudre ne tomba point. Je contemplai la petite lueur rouge qui brillait sur l’autel. Rien !

En désespoir de cause, je montai les quelques marches, ouvris les portes du tabernacle et sortis le ciboire incrusté de pierreries, rempli d’hosties consacrées. Non, il n’y avait là aucun pouvoir que pussent capter mes sens monstrueux. Rien que du pain, de l’or et la cire des cierges.

Je m’inclinai jusqu’à toucher l’autel de ma tête, comme le prêtre durant l’offertoire. Puis je replaçai tout dans le tabernacle et le refermai soigneusement, afin qu’on ne soupçonnât point qu’un sacrilège avait été commis.

Je parcourus ensuite l’église, captivé par les statues et les tableaux, de piètre qualité pourtant. Je m’aperçus que j’étais capable de comprendre pleinement non seulement le miracle créateur dont ils étaient le résultat, mais aussi tout le processus technique dont ils étaient issus.

Si je pouvais apprécier ainsi ces modestes œuvres, qu’en serait-il de celles des grands maîtres, me demandai-je. Je m’agenouillai pour contempler les dessins du sol de marbre et finis allongé de tout mon long, le nez contre les dalles.

Je me relevai en frissonnant et décidai qu’il était temps de quitter cet endroit et d’explorer le village.

 

J’y passai deux heures, durant la majeure partie desquelles je ne fus ni vu ni entendu de quiconque.

Il m’était ridiculement aisé de sauter par-dessus les murs des jardins, de bondir sur les toits depuis le sol et d’escalader le flanc d’un édifice à la seule force de mes ongles.

Je hasardai un œil à diverses fenêtres et vis des couples endormis dans leur lit en désordre, des nourrissons dans leur berceau, des vieilles cousant à la faible lueur d’une chandelle.

Je regardai ces maisons de poupée comme si je n’avais jamais eu la moindre part à cette vie humaine. Un tablier amidonné, une paire de bottes dans l’âtre, tout me surprenait.

Et les gens... les gens m’émerveillaient.

Je captais leur odeur, bien sûr, mais j’étais repu et aucune envie ne me torturait. Au contraire, je contemplais avec ravissement leur peau rosée et leurs membres délicats, la précision de leur moindre geste, tout le processus vital, comme si je n’avais jamais été mortel. Le fait qu’ils eussent cinq doigts à chaque main me semblait remarquable. J’étais sous le charme.

Quand ils parlaient, je ne perdais pas un seul de leurs mots, malgré les murs épais qui nous séparaient.

Mais l’aspect le plus séduisant de mon exploration, c’était que j’entendais les pensées de ces gens, tout à fait comme celles du domestique que j’avais tué. Certaines étaient d’une violence qui faisait peur, d’autres si fugitives qu’elles s’étaient évanouies avant que j’en décelasse la source.

Mais les pensées frivoles et banales m’échappaient. Et quand je m’absorbais dans mes propres réflexions, l’expression des plus violentes passions ne pouvait m’en tirer. Bref, il fallait des sentiments intenses pour parvenir jusqu’à moi et uniquement quand j’étais disposé à les percevoir.

Ces découvertes me secouèrent, me meurtrirent presque. Je sentais bien que derrière la beauté qui m’environnait se trouvait un gouffre dans lequel je risquais à tout moment de m’engloutir.

Car je n’étais pas, moi, un de ces chauds et palpitants miracles de complication et d’innocence. Ils étaient mes victimes.

Il était temps de quitter le village, j’en savais assez à présent. Mais je me permis, toutefois, un dernier acte de défi.

Remontant bien haut le col de ma cape, j’entrai dans l’auberge, y cherchai le coin le plus éloigné du feu et commandai un verre de vin. Tout le monde me regarda, non pas parce qu’on devinait en moi un être surnaturel, mais parce que j’étais un seigneur richement vêtu. Je demeurai là vingt minutes sans que personne, pas même l’homme qui me servit, n’eût le moindre soupçon. Bien sûr, je ne touchai pas au vin, dont les seuls effluves me dégoûtaient. L’important, c’était que je pouvais berner les mortels ! Je pouvais me mêler à eux !

Je jubilais en quittant l’auberge. Dès que j’eus gagné les bois, je me mis à courir. J’allai si vite que le ciel et les arbres devenaient flous. Je volais presque.

Je m’arrêtai pour me mettre à bondir, à danser. Je jetais des cailloux si loin que je ne les entendais même pas tomber. Avisant une grosse branche d’arbre brisée, encore pleine de sève, je la rompis sur mon genou comme une brindille.

Je finis par me laisser tomber dans l’herbe en riant.

Puis je bondis sur mes pieds, me débarrassai de ma cape et de mon épée et me mis à faire des culbutes, avec autant d’agilité que les acrobates que j’avais vus chez Renaud. Je fis un saut périlleux parfait. Puis un autre, et puis un à l’envers et encore un à l’endroit. Et ensuite des doubles sauts périlleux, des triples sauts périlleux. Je franchis d’un seul bond une hauteur de plus de quinze pieds et retombai sans bavure sur mes deux pieds, quelque peu essoufflé.

J’aurais voulu continuer, mais le matin approchait.

Il n’y avait eu qu’un subtil changement dans l’air, dans le ciel, mais je le savais comme si tous les carillons de l’enfer s’étaient mis à sonner pour rappeler à leur sépulture tous les vampires sortis de terre. La curieuse pensée me vint qu’en enfer, le feu éternel brûlerait comme un soleil et que c’était l’unique soleil que je reverrais jamais.

Qu’ai-je donc fait ? me dis-je. Je n’ai rien demandé, je n’ai pas cédé. Même quand Magnus m’a dit que je mourais, j’ai lutté contre lui et pourtant j’entends les carillons de l’enfer !

Bah, qu’ils aillent tous au diable !

 

Lorsque j’atteignis le cimetière, prêt à enfourcher ma monture pour regagner la tour, quelque chose attira mon attention.

Je restai, les rênes à la main, à contempler les tombes, sans pouvoir comprendre ce que c’était. Le phénomène se reproduisit et je sus aussitôt. Je devinais une présence dans le cimetière.

Je m’immobilisai totalement.

Cette présence n’était pas humaine ! Elle n’avait point d’odeur. Aucune pensée n’en émanait. Au contraire, elle était comme voilée et bien gardée et elle savait que j’étais là. Elle me guettait.

Était-ce mon imagination ?

Sans bouger, j’écoutai, je scrutai les ténèbres. Quelques pierres tombales grisâtres perçaient sous la neige. J’apercevais au loin une rangée de cryptes en ruine.

Il me semblait que la présence s’attardait dans leur voisinage et je la sentis distinctement lorsqu’elle gagna les arbres qui bordaient le cimetière.

« Qui êtes-vous ? lançai-je d’une vois tranchante. Répondez ! »

Je devinais chez la présence un violent tumulte et j’étais certain qu’elle s’éloignait au plus vite.

Je fonçai à sa poursuite à travers le cimetière et la sentis s’éloigner. Pourtant, je ne voyais rien dans la forêt dénudée. Je compris que j’étais plus fort et qu’elle avait peur de moi !

Je n’avais aucune idée de sa nature physique. Était-ce un vampire comme moi ou un esprit sans corps ?

« En tout cas, ce qui est sûr, c’est que vous êtes un lâche ! » lui hurlai-je.

Je fus soudain envahi par un sentiment de ma propre puissance, qui couvait depuis longtemps déjà. Je n’avais peur de rien. Ni de l’église, ni de l’obscurité, ni des vers qui grouillaient dans les cadavres de mon donjon. Ni de cette étrange présence qui semblait s’être à nouveau rapprochée de moi. Ni même des hommes.

J’étais un démon extraordinaire ! Si j’avais été en enfer et que le Malin m’eût dit : « Lestat, viens choisir sous quelle forme tu souhaites parcourir le monde », jamais je n’aurais pu mieux tomber. Il me semblait soudain que la souffrance était quelque chose que j’avais connu dans une autre existence et ne connaîtrais jamais plus.

 

Aujourd’hui, je ne puis que rire en repensant à cette première nuit et surtout à ce moment particulier.

9

Et le lendemain soir, je me précipitai à Paris, muni d’autant d’or que je pouvais en porter. Le soleil venait à peine de disparaître à l’horizon lorsque j’ouvris les yeux et une claire lumière azurée teintait encore les cieux au moment où je montai à cheval.

J’avais grand besoin de me sustenter.

Le hasard voulut que je fusse attaqué par un bandit de grand chemin avant même d’avoir atteint l’enceinte de la ville. Il sortit d’un bois au galop, en brandissant son pistolet, et je vis le projectile quitter le canon de son arme au moment où je sautai à bas de ma monture pour contre-attaquer.

C’était un homme vigoureux et je fus surpris par le plaisir que j’éprouvai à le sentir se débattre en jurant. Le serviteur que j’avais tué la veille était âgé. Cette fois, j’avais affaire à un corps jeune et musclé. Il n’y avait pas jusqu’à sa barbe hirsute qui n’excitât mon appétit et à la force de ses mains qui me frappaient. Mais il n’était pas de taille. Je ne tardai pas à plonger mes crocs dans l’artère de son cou et le goût de son sang dans ma bouche fut une pure volupté. Un plaisir si exquis, même, que j’en oubliai complètement de m’interrompre avant que le cœur ne cessât de battre.

Nous étions à genoux dans la neige et cette vie qui entrait en moi avec le sang me frappa comme un coup violent. Je restai un long moment sans pouvoir bouger. Allons, voici que j’ai déjà transgressé les règlements, me dis-je. Vais-je mourir à mon tour ? Cela semblait peu probable.

Je gardai les yeux fixés sur le ciel qui s’obscurcissait et je ne sentais en moi qu’une douce chaleur et un accroissement presque palpable de ma force.

Parfait ! Je me remis debout en m’essuyant les lèvres. Puis je jetai le corps de ma victime le plus loin possible. J’étais plus puissant que jamais.

J’avais envie de tuer encore pour prolonger mon extase, mais je n’aurais pas pu avaler une autre goutte de sang et je finis par me calmer. Un sentiment désespéré de solitude s’empara de moi, comme si mon assaillant avait été un ami ou un parent qui m’eût abandonné. La seule explication de ce phénomène me semblait être l’intimité que créait le fait de boire son sang à même sa gorge. J’étais encore imprégné de son odeur et cela me plaisait, mais lui gisait là-bas sur la neige, les mains et le visage gris au clair de lune.

Par tous les diables, le gredin s’apprêtait à me trucider, après tout !

 

En moins d’une heure, j’avais découvert un avocat fort capable, du nom de Pierre Roget. C’était un jeune homme ambitieux qui habitait le Marais. Je lisais en lui comme dans un livre : avide, intelligent, consciencieux. Exactement ce dont j’avais besoin. Et il croyait tout ce que je lui disais.

Il brûlait du désir d’être utile à un homme de ma condition, époux d’une richissime héritière de Saint-Domingue, et il éteignit volontiers toutes les bougies sauf une, en apprenant qu’une fièvre tropicale avait affaibli mes yeux. Quant à ma fortune en pierreries, il ne traitait, n’est-ce pas, qu’avec les joailliers les plus réputés. Des lettres de change pour ma famille en Auvergne ? Mais bien sûr, immédiatement.

C’était encore plus facile que de jouer Lélio.

J’avais beaucoup de mal à me concentrer, cependant, car tout m’était source de distraction : la flamme de la bougie, les motifs dorés du papier chinois au mur et l’étonnant petit visage de Maître Roget, avec ses yeux qui brillaient derrière de minuscules lunettes octogonales.

Les objets et les bruits les plus ordinaires me semblaient lourds de signification, mais il fallait que je m’y habituasse et me ressaisisse. Cette nuit même, je voulais qu’un courrier partît porter de l’argent à mon père et à mes frères, ainsi qu’à Nicolas de Lenfent, musicien au Théâtre de Renaud, en lui disant simplement que c’était un don de son ami Lestat de Lioncourt, lequel souhaitait le voir établi au plus vite dans un bel appartement de l’île Saint-Louis, ou d’ailleurs, et, avec l’assistance de Roget, le voir se consacrer uniquement à ses leçons de violon. Roget devait du reste lui acheter le meilleur instrument possible, de préférence un Stradivarius.

Pour finir, une lettre en italien fut dépêchée à ma mère, la marquise Gabrielle de Lioncourt, accompagnée d’une bourse particulière. Si elle se sentait la force d’entreprendre un voyage jusque dans le sud de l’Italie, où elle était née, peut-être parviendrait-elle à enrayer la consomption qui la minait.

A l’idée qu’elle allait pouvoir s’échapper, je me sentais pris de vertige. Je perdis un long moment le fil du discours de Roget. Je l’imaginais déjà parée de toilettes somptueuses, quittant le château dans un équipage digne d’une marquise. Puis je revis son visage ravagé et j’entendis la toux qui la secouait.

« Envoyez-lui la lettre et l’argent dès ce soir, ordonnai-je. Quel que soit le prix. » Et je lui remis assez d’or pour que ma mère pût vivre dans le luxe pour le restant de ses jours. S’il lui restait des jours à vivre.

« A présent, repris-je, connaissez-vous un marchand qui vende de beaux meubles, des tableaux, des tapisseries et qui accepterait de m’ouvrir sa boutique et ses entrepôts à cette heure ?

— Bien sûr, monsieur. Permettez seulement que je prenne mon manteau et allons-y de ce pas. »

Nous partîmes aussitôt vers le faubourg Saint-Denis.

Je passai les quelques heures qui suivirent à acheter tout ce qui me plaisait : canapés et fauteuils, porcelaine et argenterie, draperies et statues. Je métamorphosai mentalement le château de mon enfance à mesure que les marchandises étaient emportées pour être expédiées vers le sud.

Et pendant tout ce temps, je jouai impeccablement mon rôle d’être humain, en dehors d’un regrettable incident.

A un moment donné, tandis que nous parcourions l’entrepôt, un rat fit hardiment son apparition et se mit à courir le long du mur, tout près de nous. Je le regardai fixement. Le spectacle n’avait certes rien de rare à Paris, mais là parmi les boiseries et les riches étoffes, il était merveilleusement incongru. Mes deux compagnons, se méprenant évidemment sur ce regard, se confondirent aussitôt en excuses et tapèrent des pieds pour éloigner l’intrus.

Leurs voix n’étaient à mes oreilles qu’un bourdonnement indistinct. Je me dis soudain que les rats avaient des pattes minuscules que je n’avais encore jamais examinées de près. Je m’empressai d’attraper l’animal, avec une facilité anormale, et je m’absorbai dans la contemplation de ses pattes. J’en oubliai tout à fait les deux hommes à mes côtés.

Ce fut leur brusque silence qui me fit lever la tête. Tous deux me regardaient, les yeux exorbités.

Je leur adressai mon sourire le plus candide et lâchai le rat, avant de me remettre à acheter.

Ils ne firent aucune allusion à ma conduite, mais j’en tirai néanmoins une utile leçon. Je leur avais vraiment fait peur.

Plus tard, je confiai une dernière mission à mon avocat. Il devait faire parvenir un don de cent écus à un propriétaire de théâtre nommé Renaud, ainsi qu’un petit mot de remerciements pour ses bontés passées.

« Tâchez de découvrir quelle est la situation de son théâtre. Je voudrais savoir s’il y a des dettes à régler. »

Bien sûr, je comptais fermement éviter le théâtre. Jamais mes camarades ne devaient deviner ce qui m’était arrivé, ni être contaminés. A présent, j’avais fait tout mon possible pour ceux que j’avais aimés.

Une fois que tout fut réglé, j’entendis les horloges sonner trois fois. J’avais assez faim pour sentir une odeur de sang où que je me tournasse. Soudain, je m’aperçus que j’étais arrivé boulevard du Temple, totalement vide à cette heure.

La neige sale s’était transformée en boue sous les roues des voitures. Je contemplai le Théâtre de Renaud, avec ses murs décrépis et ses affiches déchirées. Le nom du jeune acteur Lestat de Valois y figurait encore, en lettres rouges.

10

Les nuits suivantes furent d’une sauvagerie inimaginable. Je saignai les Parisiens de mon mieux. Dès la tombée du jour, je faisais une descente sur les quartiers mal famés où j’avais affaire à des voleurs et à des assassins. Je leur donnai souvent, par jeu, la possibilité de se défendre avant de les soumettre à mon étreinte fatale pour m’en repaître à satiété.

Je goûtai un peu à tout : les grands maladroits, les petits coriaces, les Méditerranéens hirsutes et noirs de peau, mais je leur préférais à tous les très jeunes crapules, prêtes à vous occire pour les quelques pièces que vous aviez en poche.

J’aimais les entendre grogner et jurer. Parfois je les maintenais d’une seule main et leur riais au nez jusqu’à ce qu’ils fussent en fureur ; je jetais leurs couteaux par-dessus les toits et brisais leurs pistolets en mille morceaux contre les murs. Mais jamais je ne donnais la pleine mesure de ma force. Et je haïssais la terreur. Si ma victime avait vraiment peur, je m’en désintéressais.

Au fil des nuits, j’appris à ne pas tuer tout de suite. Je buvais un peu de sang de l’un, puis un peu d’un autre, pour n’aller jusqu’au bout qu’avec le troisième ou le quatrième. Mon plaisir était de les traquer et de lutter avec eux. Et lorsque j’avais bu de quoi combler six vampires en pleine santé, j’allais déambuler dans les autres quartiers de Paris et profiter de toutes les distractions que je n’avais pu m’offrir du temps où j’étais mortel.

Mais d’abord, je passais toujours chez Roget m’enquérir de Nicolas et de ma mère.

Les lettres de cette dernière débordaient de bonheur et elle promettait de partir pour l’Italie au printemps si elle en avait la force. Pour le moment, elle voulait des livres et de la musique pour le clavecin que je lui avais fait envoyer. Et puis elle voulait savoir si j’étais vraiment heureux. Avais-je réalisé mes rêves ? Je devais me confier à elle.

Je souffrais le martyre en entendant ces mots. Il était temps pour moi de devenir le menteur que je n’avais jamais été. Pour elle, j’en étais capable.

Quant à Nicolas, j’aurais dû savoir qu’il ne se contenterait pas de cadeaux et de vagues explications. Il demandait sans cesse à me voir et Roget avait un peu peur de lui.

Mais ses requêtes restaient sans effet. Je redoutais si fort de le voir que je ne cherchai même pas à connaître sa nouvelle adresse. Je dis à l’avocat de veiller à ce que mon ami étudiât avec son maestro italien et eût tout ce qu’il désirait.

Pourtant, j’appris par hasard que Nicolas n’avait pas quitté le théâtre. Il y jouait toujours.

Cela me faisait enrager. Pourquoi y restait-il ?

Parce qu’il aimait cette atmosphère autant que moi. Avais-je donc besoin qu’on me le dît ?

Je ne devais surtout pas penser au moment où le rideau se lève, où les spectateurs applaudissent... Non. Mais j’envoyai au théâtre des caisses de vin et de champagne. Des bouquets à Jeannette et Luchina, celles avec qui je m’étais le plus chamaillé et que j’avais le plus aimées. Et je payai les dettes de Renaud.

A mesure que les dons s’accumulaient, cependant, ce dernier commença à en être gêné. Quinze jours plus tard, Roget me présenta une offre de sa part.

Ne pourrais-je acheter son théâtre et l’y garder comme directeur, avec assez de moyens pour monter des spectacles plus grandioses que ceux qu’il pouvait actuellement se permettre ? Avec mon argent et son talent, tout Paris ne parlerait plus que de notre établissement.

Il me fallut un moment pour me rendre compte que je pouvais acheter le théâtre comme les vêtements que j’avais sur le dos ou les jouets que j’avais envoyés à mes neveux et nièces. Je dis non et sortis en claquant la porte.

Ce fut pour rentrer aussitôt.

« Très bien, achetez le théâtre et donnez-lui dix mille écus pour monter ce qu’il lui plaira. » C’était une fortune. Et je ne savais même pas pourquoi j’agissais ainsi.

Pour ma part, je passais mes soirées dans les plus grands théâtres. Je m’offrais les meilleurs sièges au ballet et à l’Opéra. Je contemplais d’un œil admiratif les plus grands acteurs du temps. J’avais des costumes de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, des bagues à tous les doigts, des perruques à la dernière mode, des boucles de diamants à mes souliers.

Et j’avais l’éternité devant moi pour me griser de poésie, de chant et de danse, pour m’enivrer des accents des grandes orgues de Notre-Dame, pour savourer les cloches qui égrenaient les heures, pour apprécier la neige qui tombait sans bruit sur les jardins des Tuileries.

Avec chaque nuit qui passait, je me sentais plus à mon aise au milieu des mortels.

Au bout d’un mois à peine, j’eus le courage de me plonger en pleine cohue, lors d’un bal au Palais-Royal. Je venais tout juste de me sustenter et je me joignis aussitôt aux danseurs sans éveiller le moindre soupçon. Au contraire, je paraissais attirer les femmes. J’adorais la chaleur de leurs doigts et le doux contact de leurs bras et de leur poitrine.

Après cela, je n’hésitai plus à me mêler à la foule des boulevards. Passant au plus vite devant chez Renaud, je m’engouffrais dans les autres théâtres pour voir les marionnettes, les mimes et les acrobates. J’entrais dans les cafés et m’en commandais des tasses uniquement pour en sentir la douce chaleur sous ma main. Et je parlais aux gens quand j’en avais envie.

Je travaillai avec acharnement pour maîtriser l’art du billard et les jeux de cartes. Parfois, je me disais que je devrais bien entrer chez Renaud pour voir Nicolas.

Mais je ne le faisais jamais. Pourquoi rêvais-je ainsi de me rapprocher de lui ? Tromper des étrangers qui ne m’avaient jamais connu, c’était une chose. Mais que verrait Nicolas s’il me regardait dans les yeux ? S’il examinait ma peau ?

J’en savais de plus en plus long sur ma nature et mes pouvoirs.

Ainsi, mes cheveux étaient plus légers et pourtant plus fournis qu’avant, mais ils ne poussaient pas du tout. Non plus que mes ongles qui brillaient beaucoup plus. Mais si je les limais, ils repoussaient dans la journée à la longueur qui était la leur au moment de ma mort. Et les gens sentaient malgré tout que mes yeux avaient un éclat surnaturel, que ma peau était trop lumineuse.

Tout particulièrement lorsque j’avais faim, ce qui était une excellente raison de me nourrir.

J’appris que j’étais capable d’hypnotiser les gens en les regardant fixement et que ma voix avait besoin d’être très strictement modulée. Parfois, je parlais trop bas pour être entendu, mais si je m’avisais de parler ou de rire trop fort, je pouvais percer les tympans de ceux qui m’écoutaient.

Mes gestes aussi pouvaient devenir désordonnés et s’apparenter même à des contorsions sous l’effet de la surprise ou de l’horreur.

Mes expressions faciales elles-mêmes étaient parfois exagérées. Une fois où j’arpentais le boulevard du Temple, en pensant à Nicolas, je me surpris à m’asseoir sous un arbre, les genoux relevés, le visage dans les mains. Or, au XVIIIe siècle, les messieurs en habit de brocart et bas de soie ne se laissaient jamais aller à de tels écarts, du moins dans la rue.

Une autre fois, absorbé par des jeux de lumière, je sautai d’un bond sur le toit d’un carrosse et m’y assis en tailleur.

Or, ces agissements faisaient peur aux gens. Toutefois, la plupart du temps, même lorsque la blancheur de ma peau les mettait mal à l’aise, ils se contentaient de détourner les yeux. Ils voulaient se persuader qu’on pouvait tout expliquer. La raison n’était-elle pas le mal du siècle ?

Par conséquent, s’il m’arrivait de broyer les verres de cristal en les prenant ou de faire sortir les portes de leurs gonds en les ouvrant, on s’imaginait que j’étais ivre.

Il m’arrivait quelquefois de répondre aux questions avant que les mortels ne les eussent posées. D’autres fois, je sombrais dans une véritable transe en contemplant un objet et ils finissaient par se demander si je n’étais pas malade.

Le pire de mes problèmes, c’était mon rire. J’avais des accès d’hilarité que j’étais incapable de contrôler. Et il suffisait d’un rien pour les déclencher.

Cela m’arrive encore aujourd’hui. Rien n’y fait. Lorsque quelque chose me paraît drôle, je me mets à rire et je ne peux plus m’arrêter.

Cela exaspère les autres vampires d’ailleurs.

Le lecteur aura sans doute remarqué que je n’ai pas encore mentionné les autres vampires. C’est parce que je n’en trouvai point dans toute la vaste métropole.

J’étais environné de mortels, mais de temps à autre – juste au moment où je m’étais enfin persuadé que ce devait être un effet de mon imagination – je devinais cette présence vague et insaisissable qui m’irritait tant.

Elle n’était jamais plus substantielle que la nuit de notre rencontre dans le cimetière de campagne et je la croisais toujours aux alentours d’un cimetière.

Invariablement, je m’arrêtais et je tentais de la débusquer, mais sans succès. Et la puanteur des cimetières parisiens était telle que je ne voulais pas, ne pouvais pas m’y aventurer.

Ce n’était même pas par délicatesse, ni à cause de l’affreux souvenir du donjon. La révulsion au contact de la mort semblait faire désormais partie de ma nature.

J’étais incapable d’assister aux exécutions et je me couvrais les yeux à la vue d’un cadavre, sauf lorsqu’il était de mon fait ! Et même alors, je m’éloignais toujours au plus tôt de ma victime.

Pour en revenir à la fameuse présence, je finis par me demander s’il ne s’agissait pas d’une autre espèce de monstre, incapable de communiquer avec moi. Pourtant, j’avais la nette impression que la présence m’observait et qu’elle se révélait même délibérément.

Quoi qu’il en soit, je ne rencontrai point d’autres vampires à Paris. Je commençai à me demander si nous pouvions y être plus d’un à la fois. Peut-être Magnus avait-il détruit le vampire dont il avait volé le sang. Peut-être devait-il lui-même périr après m’avoir transmis ses pouvoirs. Et peut-être mourrais-je moi aussi, si je créais un autre vampire.

Non, cela n’avait pas de sens. Magnus avait conservé sa force après m’avoir donné son sang.

Le mystère était immense et m’exaspérait, mais, pour le moment, l’ignorance était un vrai bonheur. Je découvrais des tas de choses sans l’aide de Magnus. Sans doute avait-il fait lui aussi le même apprentissage, il y avait plusieurs siècles.

Je me rappelais qu’il avait dit que dans la pièce secrète de la tour, je trouverais tout ce dont j’avais besoin pour prospérer.

 

Je ne voyais pas passer les heures quand je courais la ville. Et je ne quittais de mon plein gré la compagnie des humains que pour me cacher durant le jour.

Je me demandais : « Si tu peux danser avec eux, les défier au billard, leur parler, pourquoi ne peux-tu vivre parmi eux ? Pourquoi ne pourrais-tu passer pour l’un d’eux ? Et t’infiltrer à nouveau au cœur même de la vie où il y a... quoi donc ? Dis-le ! »

Le printemps était presque là. Les nuits se réchauffaient. Le théâtre de Renaud allait afficher une nouvelle pièce avec des acrobates entre les actes. Les arbres avaient retrouvé leur feuilles et dès mon réveil, je ne pensais qu’à Nicolas.

 

Une nuit, en mars, je m’aperçus, tandis que Roget me lisait une lettre de ma mère, que je pouvais lire aussi bien que lui. J’avais appris sans même m’en apercevoir. J’emportai la lettre avec moi.

La pièce secrète elle-même n’était plus vraiment froide. Assis à la fenêtre, je lus pour la première fois en toute tranquillité l’écriture de ma mère. Je croyais presque entendre sa voix.

« Nicolas m’écrit que tu as acheté le théâtre de Renaud. Te voici donc propriétaire du petit établissement où tu as été si heureux. L’es-tu toujours ? Quand me répondras-tu ? »

Je repliai la lettre et la mis dans ma poche. Des larmes de sang me montèrent aux yeux. Pourquoi donc comprenait-elle tant de choses et en comprenait-elle si peu ?

Lestat le Vampire
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